mercredi 1 juillet 2020

Vivre le Ramadan en famille d’une façon vivante et consciente (édition 2020)


Sagesse d’Ibn ‘Atâ’i-Llâh :
« Enterre ta présence dans la terre de l’oubli : ce qui germe sans avoir été enterré ne peut compléter sa croissance »


Photo du livre The last night of Ramadan de Maissa Hamed

Vivre le Ramadân en famille d’une façon vivante et consciente


J’ai été quelque peu silencieuse durant ce mois de Ramadân. Cette période de l’année est  pourtant assez vivante, riche de réflexion et de transmission avec les enfants. Encore une fois, je serai assez pudique sur les détails concernant notre vie de famille en ce mois de Ramadân, comme pour le reste de l’année. Mais j’aimerai toutefois partager quelques éléments de réflexion autour de ce mois. 

Avertissement : ce que je décris et présente dans cet article est le fruit de ma propre réflexion après la lecture de certains ouvrages, en soutien. Cela n'est donc pas parfait. Vous êtes libres de voir les choses autrement. (Heureusement!)
Ce dont je parle n'est pas à transmettre ainsi aux enfants, je m'adresse avant tout à l'adulte qui est à la recherche d'une façon de s'approprier le Ramadân dans un contexte franco-français. Merci  d'en tenir compte. 
Je vous invite également à lire l'article écrit sur le Ramadân 2020 dédié aux activités des enfants. 


Si vous lisez cet article c’est que je serai parvenue au bout d’un long processus d’écriture, ou alors que j’aurai finalement fait le choix de le scinder (spoiler : j’ai coupé ! )… 

Car effectivement, cela fait plus d’un an que je souhaite rédiger un article sur le Ramadân chez nous… 

A l’approche du solstice d’hiver, j’ai souhaité reprendre un brouillon d'article sur le Ramadân, notamment après la réception du livret HIVER de Monique Tedeschi (publié aux éditions Lapage). J'effectuais à ce moment là, plusieurs jours de jeûne, et le livret accompagnait nos soirées
La préparation de notre inspection dans le cadre de l’instruction en famille m’a encore fait repousser les délais. Et puis il y a eu le confinement ...


Mais avant de commencer, je souhaiterais vous raconter une petite anecdote qui a eu lieu dans notre salon cet hiver. Il s’agit d’un échange entre ma seconde fille et moi-même. Nous étions installées côte à côte, et je lui proposais de me lire le début d’un petit livre. Je lui tends et lui dis, après une petite introduction en la matière :

« Lis,
-          Mais, maman, je ne sais pas lire ? Me dit-elle innocemment,
-        Lis S. Ne t’inquiète pas, tu vas lire, tu verras » Lui dis-je la main passant sur son dos.

Alors, confiante, elle se mit à lire le petit livre sur ses genoux et surprise, elle se rendit compte qu’elle pouvait vraiment lire un livre et plus seulement des phrases ou des poèmes.

Je suis sûre que pour certains, cet extrait de vie ne va pas sans vous rappeler ce qui s'est passé au sein de la grotte Hirâ’ sur le Mt an-Nûr (La Lumière), lorsque l’ange Gabriel/Jibril (s) transmit les tout premiers versets à Muhammad (sws – Paix et Bénédiction de Dieu sur Lui), alors en retraite spirituelle :

«  Lis ! », « Je ne sais pas lire ! », répondit-il. « Puis, raconta le Prophète (s), l’Ange m’a saisi et m’a étreint avec force, il m’a relâché et a répété le commandement : « Lis ! » «  Je ne sais pas lire ! » ai-je dit, et une nouvelle fois il m’a serré jusqu’à ce que je fus épuisé. Puis il dit : « Lis ! » Je répondis : « Je ne sais pas lire ! » Il me serra ensuite pour la troisième fois, avant de me relâcher et de me dire : « Lis au nom de Ton Seigneur qui a créé ! Il a créé l’être humain à partir d’une adhérence. Lis et Ton Seigneur est le Très Généreux » (sourate 96 v. 1-3). Le Prophète répéta ces versets. » Extrait de Muhammad l’ultime joyau de la Prophétie, Safiyy ar-Rahmân al-Mubârakfûrî, p. 83-84.


« Lis ! » peut aussi être traduit par « Récite ». 

Cet événement résume à lui tout seul ce que nous vivons dans notre instruction en famille. 
Il m’était donc difficile de faire un article sur le Ramadân sans évoquer l’apprentissage de la lecture au sein de notre famille. 


Si vous suivez mon blog ou mes pages FB et instagram, vous savez que j’ai choisi de suivre la pédagogie Steiner pour notre instruction en famille. Je vous invite à parcourir mon blog pour comprendre pourquoi, ainsi que de lire ma réponse à l’invitation que Monique Tedeschi m’adressa sur son blog Chant des Fées.

Voici quelques extraits de L’art de l’éducation, Les apprentissages fondamentaux dans les écoles Steiner-Waldorf. C’est un livre que j’ai lu il y a déjà quelques temps, et je pense vraiment qu’il fait partie de ces livres qu’il est bon de relire régulièrement lorsque l’on s’investit dans une approche vivante des apprentissages.


 « Représentez-vous que pendant que vous l’éduquez et l’enseignez, l’enfant doit faire davantage encore que ce que vous faites avec lui. Il doit grandir. Qu’est-ce-que cela signifie ? Cela signifie que l’enseignement et l’éducation que vous lui prodiguez ne doivent pas gêner sa croissance. Vous ne devez travailler que pour accompagner  le besoin qu’ont les enfants de se développer». (p. 11 – R. Steiner, « Anthropologie » conférence du 2 Septembre 1919).
 « La lecture vit entièrement dans les concepts, il convient donc de la développer dans un second temps, pas immédiatement. Sinon, on met l’enfant sur la voie d’un développement cérébral précoce au lieu de susciter un développement qui saisisse son être tout entier » R. Steiner (. p. 84).

Un extrait de  Méthode et Pratique, 5e conférence, 4e édition, 2006, p. 73-74 : 

« Pour que l’enseignement repose sur des bases solides, il est absolument nécessaire que l’apprentissage de l’écriture soit précédé par une certaine pratique du dessin, de telle sorte que l'écriture procède du dessin. Il est en outre nécessaire que la lecture des textes imprimés soit précédée par la lecture des mots manuscrits. Nous nous efforcerons donc de passer du dessin à l’écriture, de l’écriture à la lecture de ce qui est écrit, de la lecture du texte manuscrit à celle du texte imprimé. Je suppose ici que vous serez parvenu à obtenir de l’enfant qu’il soit déjà capable, grâce au dessin, de bien tracer les courbes ou les droites dont il aura besoin pour écrire. De là, nous tenterons de passer à ce qui doit être, nous l’avons déjà vu, la base de l’écriture et de la lecture ».

Dans le Stockmeyer, Eléments fondamentaux de la pédagogie Steiner, à la p. 62 (10e conférence du cycle de Bâle) :
 « D’où est venu le fait que les hommes ont développé à notre époque ce que j’appellerais un penchant à l’atomisme ?  Cela s’est produit parce que l’on a trop peu exercé avec les enfants l’activité analytique. [...] C’est tout simplement la non-satisfaction de l’instinct d’analyse qui encourage notre matérialisme… C’est la raison pour laquelle nous n’enseignons pas à l’école Waldorf en partant de la lettre dans une activité de synthèse, mais en partant de la phrase complète d’où nous tirons les mots par une activité analytique, pour en tirer ensuite les lettres des mots et en associant enfin les sonorités aux lettres. Nous parvenons de cette manière à une intériorisation. Car l’enfant apporte avec lui ce qui est phrase, mot. Ce qui doit nous servir pour amener la conscience de l’enfant à s’éveiller, nous l’accomplissons en appliquant une activité analytique aux phrases et aux mots ».

A l’heure où l’on pousse les enfants vers des apprentissages de plus en plus précocement, j’ai fait le choix d’attendre que mon enfant rentre dans sa 7e année avant de commencer à lui apprendre la lecture ou encore le calcul. Nous avons démarré à l'automne 2019. S. était alors âgée de 6 ans et demi. Je n’ai absolument pas la sensation de l’avoir freinée. Elle a pu développer ainsi bien d’autres choses d’elle-même avant de passer aux apprentissages plus classiques, dits fondamentaux. Elle a su lire très rapidement. 

Mon mari et moi-même donnons une grande importance aux études. Nous avons nous-mêmes fait des études, et nous espérons que nos enfants en fassent de même à leur tour. Il n’est donc pas question pour nous de négliger leur instruction. Mais cela ne doit pas pour autant passer par un bourrage de crâne dès le plus jeune âge. Et je ne comprends pas non plus l’intérêt de passer des heures à concevoir un support pédagogique pour transmettre une notion à mon enfant quand il suffit d’attendre le bon moment pour que cela se fasse naturellement, sans artifice. (Je passe cependant beaucoup de temps à préparer nos cours !)

Je pourrai en dire plus. Mais disons simplement que ces sept premières années sont trop importantes pour les vivre dans des livres/manuels ou des cahiers. 
La pédagogie Steiner offre ainsi le cadre pour mettre en place les éléments pédagogiques  vivants respectueux du développement de mon enfant.


Si les livres de R. Steiner suscite un blocage, je vous conseille les deux livres suivant : Les mondes Sensibles de W. Auer, ainsi que L’enfant face aux écrans de R. Patzlaff.

Le lien avec le Ramadân me direz-vous ?


Dans notre approche vivante et consciente de l’instruction mais aussi de l’éducation au sens large, le calendrier musulman me sert de base au même titre que la roue des saisons, et ce, afin d’élaborer notre progression. 



Le calendrier lunaire musulman avance dans la roue des saisons, en raison d’un décalage de plus ou moins onze jours chaque année. Ainsi donc, le Ramadân de cette année a eu lieu onze jours avant la date de celui de l’an dernier. 
Nous avons vécu des Ramadân estivaux il y a quelques années. Il est actuellement printanier et dans les prochaines années, il tendra à devenir hivernal. Il faudra donc un cycle d’une trentaine d’années pour avoir vécu le Ramadân à travers la roue des saisons. 

Chercher les mouvements, la dynamique de chaque mois islamique et de les mettre au diapason du cycle des saisons devient alors un challenge très enrichissement pour l'adulte qui doit le transmettre d'une certaine manière à l'enfant. 

Il m’a fallu pas mal de temps pour trouver une certaine harmonie. 

Je dois beaucoup à une sagesse, populaire chez les musulmans, qui nous incite à chercher la science où elle se trouve, même s’il faut aller jusqu’en Chine. Pour commencer, je vous recommande la lecture de L'âme de la nature de Rupert Sheldrak pour saisir comment la vision matérialiste/mécaniste dominante a transformé notre rapport à la nature. Et nous sommes en droit de nous interroger sur les conséquences de cette vision au sein même de la communauté musulmane. 

Je suis extrêmement redevable au blog Chant des fées qui m’a fait gagner un temps fou pour renouer avec les rythmes des saisons et les différents temps fort du calendrier. 
Cela ne veut pas dire que je vais adopter la roue des festivités païennes. Mais marquer un temps pour vivre ce qui se passe dans la Nature (la Création) à différent moment de l'année, et le transmettre à mes enfants de façon vivante à travers des chants, des contes, des poèmes etc. n'est pas en contraction avec mes croyances. D'autant plus que cela nous sert également de support pour nos apprentissages, qui en deviennent ainsi très vivants. 

Pour les personnes malintentionnées qui espèrent y voir là une faille dans ma démarche, je les invite à s’interroger sur leur rapport aux éléments de la Création sur lesquels Dieu, dans Son Livre Saint, nous Interpelle et qu’Il nous Offre comme support de réflexion. 

L’apport Steiner-Waldorf fut aussi incroyablement enrichissant pour son côté chrétien. 
La science soufie m’a en partie permis de consolider tout cela à partir de notre tradition musulmane. Il me reste encore beaucoup à faire. 





C’est un cheminement… Et celui-ci sera remis en question tout au long du cycle d’une trentaine d’années.




Au rythme des saisons : une invitation au renouvellement constant  


Il s’agit finalement d’une invitation à renouveler constamment notre rapport aux différents événements marquant le calendrier musulman, nous évitant ainsi de tomber dans une certaine routine. 

S’il peut sembler plus pertinent de vivre le Ramadân au moment de l’été, quand la météo et les températures semblent correspondre au mieux à la signification étymologique du mot Ramadân (qui brûle, mois de grande chaleur ...), je trouve que le printemps aussi nous permet de ressentir des émotions correspondant à celles d'un jeûne de Ramadân.

Pour transmettre ces émotions à nos enfants, les contes représentent une aide non-négligeable.  Mais quels contes ?
Nous trouvons sur le marché éducatif des aides pour tout type de développement de l’enfant (physique, émotionnel, intellectuel). Le conte modernisé est à la mode et sert souvent de base d'apprentissage. 
Mais les contes traditionnels ne doivent pas passer à la trappe sous prétexte que l'on ne sait plus comprendre ce qu’ils ont à nous dire. 
Les contes ont su trouver leur place dans un contexte islamique. Et les maîtres soufis les ont souvent utilisés comme outils de cheminement. 

Pourquoi ne pas s’en saisir à nouveau pour retrouver un apprentissage vivant pour nos enfants ?! Pourquoi garderions-nous ces trésors pour nous adultes et donnerions à nos enfants des supports secs, vides de sens alors qu’ils sont encore sensibles à ces images ? Ne pourrions-nous pas y voir là l’occasion pour semer une graine, l'arroser comme il se doit, la laisser croître et attendre qu'elle donne naissance à un nouveau fruit … ?

Au-delà des images, les œuvres de la littérature soufie portent en elles une dynamique, un mouvement. 
Pour ce qui est du Ramadân 2020, il s’agit de s’interroger soi-même sur deux dynamiques : celle de la saison printanière et celle du Ramadân. Que se passe t-il dans la Nature à ce moment de l’année ? Est-il possible de ressentir, de retrouver cette dynamique durant cette période de jeûne ? Comment retrouver à l’intérieur de nous-mêmes ces mouvements extérieurs ?

Pouvons-nous voir ces mouvements perçus à l’extérieur, dans la nature, comme des tuteurs nous aidant à porter nos propres mouvements intérieurs ?

En ce mois de Ramadân, comme la plante, nous quittons la pesanteur, tournons notre regard vers le ciel. Ce ciel vient aussi à notre rencontre, et nous tire, nous élève,  par le soleil. Puis … qu’advient-il de la fleur … el-fana (terme appartenant à l'ascèse soufie) … 

Le jeûne en Hiver

Quant à l’hiver, c’est justement à ce moment de l’année que j’ai souhaité reprendre un brouillon d’article encore plus ancien sur le Ramadân. 

L’hiver est certainement le plus propice au jeûne pour les jeunes mères. Nous sommes d’ailleurs nombreuses à rattraper des jours de jeûne durant cette saison. Les journées sont plus courtes, nous disposons de plus de ressources pour prier le soir, ou encore s’adonner à la lecture. 

Le besoin d'intériorité qui accompagne la saison hivernale conforte ce que nous ressentons lorsque nous jeûnons. 
Etudiante, j’ai pu vivre des retraites appelées « I’tikaf » pendant le mois de Ramadân. A la mosquée ou chez moi, c’était une parenthèse très nourrissante pour l’action qui reprenait ensuite ses droits à la fin du jeûne.

Il est en revanche plus difficile de vivre de telle retraite en été, surtout quand on a un nourrisson, et/ou des enfants en bas âge… Pire encore lorsque l’heure du Maghreb (le moment où  le soleil disparaît à l’horizon, libérant alors le musulman de son jeûne) corresponds à l’heure du coucher des enfants. On enchaîne une fin de journée assez chargée, viennent ensuite les prières de nuit et la lecture du Qur’ân, si bébé ne s'est pas réveillé entre temps. 

En été, il devient presque impossible pour une mère de se rendre à la mosquée avec ses enfants pour faire le tarawih (les prières du Ramadân effectuées en communauté à la mosquée). J’en ai de merveilleux souvenirs de l’époque où j’étais encore étudiante. 

Avant cette catastrophe sanitaire, j’espérais pouvoir emmener les enfants  au moins une fois à la mosquée, au tout début du Ramadân. Avec nos lanternes, cheminant vers la mosquée … il en fut autrement.






Ramadân 2020 : quelle dynamique ?

Avant même de concentrer mes propos sur le Ramadân de cette année, je souhaiterai évoquer le jeûne en lui-même.

Je recommande la lecture  du livre de Joël Acremant, Se nourrir aujourd’hui, Vers une nouvelle conscience des choix alimentaires, éditions Novalis, 2002. Il entame son propos par la simple signification de la nourriture et  le fait de ne PAS se nourrir.

«  La troisième constatation étonnante que nous faisons pendant le jeûne tient à la sensation intime qu’en l’absence de nourriture palpable, nous nous lions davantage à une autre nourriture plus fine. Qu’est-ce à dire ? Eh bien oui : l’air pur, la lumière, les odeurs subtiles de la nature, mais aussi la beauté ou l’harmonie entrent en nous et nous satisfont comme des aliments. Nous percevons alors comme un autre courant alimentaire qui, par compensation, prends de l’importance. Dans notre manière de vivre et de nous alimenter normalement, cette autre nourriture est certes aussi perçue, mais la perception que nous en avons est comme atténuée. En période de jeûne, elle est accrue. A présent, il est utile de se demander quelles sont les fonctions, les capacités qui diminuent en nous et quelles sont celles qui éventuellement s’améliorent ? Ainsi nous pourrons mieux comprendre ce que l’acte de se nourrir nous apporte vraiment. Au chapitre des améliorations, il est certainement juste de parler d’une plus grande clarté d’esprit, d’une meilleure activité psychique orientée davantage vers le suprasensible que vers le sensible. Il n’est pas fortuit que pendant des siècles toutes les indications pratiques des religions et des mystiques aient encouragé la tempérance, la frugalité et le jeûne. A jeun, l’esprit est comme libéré de la pesanteur corporelle. […] » p. 39-40. 

L’auteur lie ses exemples à la figure Jésus comme on peut notamment le trouver dans la science soufie. Il poursuit :

« Qu’il en ait conscience ou non, chacun se livre chaque jour à ces expériences de jeûne dans la mesure où il dort. Oui, chaque nuit, tranquillement couchés, nous jeûnons ! (Observons au passage que nous sommes plus légers le matin que le soir). Si le repas du soir n’a pas été trop copieux, nous vivons la nuit des expériences un peu similaires à celles vécues au cours d’une période volontaire de jeûne. Nous vivons intérieurement des rencontres et « voyageons », la vie de l’âme s’épanouit, tandis que le corps repose tranquillement sur la couche. L’une prend le pas sur l’autre […] » p. 42-43.

Cela ne va pas sans nous rappeler la recommandation prophétique à propos de l'alimentation à savoir : 1/3 de liquide, 1/3 de solide et 1/3 d’air. Cet extrait nous interpelle aussi sur ce que nous appelons dans la tradition musulmane : la  « petite mort » qui survient lors du sommeil. Je laisse les lecteurs musulmans retrouver les références.


Dans la science soufie, on apprend que durant le jeûne, l’être humain met de côté ce qui le rattache à la terre, à savoir l’alimentation et la reproduction, ce qu’il partage avec les autres règnes. 
En délaissant cet aspect là, il donne l’ascendant  à son origine première, céleste. 
Ainsi, du moment où la lumière du soleil commence à poindre jusqu’à son coucher, l’être humain se tourne vers le ciel, comme la fleur suivant la course du soleil. 
Il s’oriente tout entier vers le Ciel. La prière, la lecture du Qur’ân font partie de sa nourriture, et de cette ascension.

Revenons-en à la dynamique :
Durant le mois de Rajab (soit deux mois lunaires avant le Ramadân), nous avons célébré le voyage nocturne, durant lequel, le Prophète (sws) est invité à visiter les Sept Cieux et rencontre son Seigneur pour recevoir l’un des piliers de l’islam, la  prière. Nous avons vécu un mouvement ascendant et descendant. Cette étoile reçue, nous l’avons semée, arrosée et c’est durant le mois de Ramadân que nous récoltons.








Durant le Ramadân, ce mouvement ascendant est crescendo, accentué lors des dix dernières nuits durant lesquelles Dieu Accorde son Pardon. Chaque nuit, lors du tarawih (prières nocturnes réalisées pendant le Ramadan et qui donnent l’occasion à la communauté musulmane de lire le Qur’ân dans son entier), nous prenons cette ascension jusqu’au lever du soleil. 
Puis au fil de la journée, nous reprenons l’ascension à partir du point de la veille. Nous gravissons une montagne progressivement.

 Mais, le mouvement est en miroir. Dieu aussi descend au dernier tiers de la nuit pour répondre à Son serviteur. Je me suis promis de ne pas rentrer dans les détails. Je vais donc tenter d’en rester là.

Je reviens sur la dynamique que nous offre le printemps pour vivre le Ramadân.

Le ebook de Elizabeth Bootman (de MuslimFamilyTraditions) The Pool of Paradise s’inscrit parfaitement dans la dynamique de ce Ramadan printanier. 

Le livre est une adaptation pour enfant de l’œuvre monumentale de Farid Ud-din ‘Attar, le Cantique des oiseaux






Les hirondelles annoncent le retour du printemps. Comme le Ramadân, le printemps se fait attendre. 
Mais quand il est enfin de retour, c’est une immense joie, une nouvelle vitalité qui nous saisit. 
Les oiseaux s’affairent à préparer le nid, couver, puis arrive le moment du renouveau, l’apparition de nouvelles vies. 









La progression de l’histoire du Cantique des oiseaux suit ce mouvement ascendant. Je vous invite à lire la merveilleuse traduction de Leili Anvar. 

Elle est annotée et même si vous n’êtes pas familier de ce type de lecture, cette traduction vous apportera les éléments suffisant pour une première approche.  Je m’efforce de ne pas trop détailler…





A la fin du Ramadân, les musulmans, qui en ont les moyens, doivent s’acquitter de l’aumône légale appelée Zakât al-Fitr. Celle-ci porte un double sens : purification mais aussi croissance. Là encore, sans trop détailler, nous avons un indicateur de dynamique, de mouvement qui peut trouver sa place au printemps.


Je vais tenter d’être plus concise pour le reste de l’article.
Il y a un autre élément de dynamique dans le Ramadân : le cercle ou encore la plénitude.  On la retrouve dans le Cantique, quand les oiseaux, disposés en cercle, voient apparaître leur roi. Mais c'est avant tout dans le cheminement de Muhammad (sws) que cette notion est apparente. Homme parmi les hommes, il se retire en haut, dans la grotte (intériorité) pour recevoir le Qur’ân (une lumière). Puis il redescend parmi les hommes, et s'engage à travers sa mission, il est désormais dans l’action (extériorité). Là encore, nous pourrions détailler.

J’en termine sur cette dynamique du cercle.
On retrouve ce mouvement dans la parole prophétique selon laquelle, jeûner le mois de Ramadan et six jours supplémentaires durant le mois de Shawwâl équivaut à jeûner une année entière. 

Un peu de calcul :
Un mois lunaire comme le Ramadân par ex, contient soit 29 jours, soit 30. Donc, une moyenne de 29.5 jours par mois.  
Une bonne action en valant dix  : 
29.5 jours x 10 = 295 jours. 
6 jours x 10 = 60 jours, soit un total de 355 jours. 
On obtiendrait ainsi une moyenne pour une année lunaire.

Cette année, le Ramadân comptait 30 jours. On atteint, selon le calcul 360 jours. 
Cette démonstration est très facile à faire avec les enfants qui ont appris leurs tables de multiplication avec une roue de 12 points. 


Une ressource pour accompagner les familles lors de période de jeûne en hiver 

Je m’arrête pour parler du livret HIVER qu’a publié Monique Tedeschi. Il pourrait très certainement accompagner les familles lors des prochains Ramadân hivernaux. 

Cette attente de la lumière, ce désir du soleil, la quête, la recherche intérieure, dans la terre, dans la grotte.. 
Quand bien même ce livret n’est pas l’œuvre d’une femme se définissant musulmane, ni même destiné à priori aux familles musulmanes, il porte un mouvement qui nous est commun. Dans le Qur’ân, ne sommes nous pas invités à observer la nature, les mouvements de celle-ci ?

Quand j'ai reçu ce livret des Editions Laplage, j'ai été touchée par le conte de la famille Effraie. Une famille de chouettes, un peu étrange aux yeux des autres habitants du village. Une famille qui aime la nuit, vit la nuit tandis que les autres habitants sont effrayés par cette longue obscurité, et attendent avec impatience le retour de la lumière, du soleil. 

Comment ne pas y voir une famille musulmane en période de jeûne, et dans un contexte européen... 





Ainsi donc ai-je pu me saisir de ce livret sans aucune gêne. Cette quête, cette attente de la lumière qui traverse tout le livret, nous sont offertes à travers de très belles histoires, mêlant le petit peuple, les Humains et les animaux. Je ne vois pas où est le mal de faire ressentir ces émotions aux enfants à travers des contes qui leurs seront toujours aussi profitables quand ils grandiront et auront acquis en maturité pour comprendre ces images ... Je ne détaille pas non plus maintenant.


Si vous êtes quelque peu dérangé(e) par l'idée de lire des histoires d'inspiration non musulmane, ou si vous avez peur de lire des contes d'inspiration païenne ou qui sortent du cadre des Religions du Livre, je ne pense pas qu'il faille se forcer. 

Mais si vous vous interrogez, et que vous souhaitez savoir dans quelle mesure cela est possible, je vous recommande la lecture des livres de Mohammad Taleb, notamment L’écologie vue du Sud qui est un plaidoyer pour une autre approche de l’écologie. Il brise les barrières que l’on a voulu ériger entre d’un côté les religions du Livre et de l’autre les spiritualités de la Terre, appelées aussi païennes. Dans son livre Nature vivante et Âme pacifiée, il repousse les frontières pour inviter à la communion autour de l’âme du monde. Il a également écrit le livre L’Eloge de l’âme du monde.

Ainsi donc, je me répéterai, même si nous n’utilisons pas les mêmes mots, les mêmes images, nous pouvons ressentir les mêmes choses, ou de façon très proche. Nous n’allons pas forcément l’exprimer de la même manière, ni l’appeler de la même façon mais devons-nous pour autant nous interdire de faire ensemble ce qui peut l’être ? 
Je ne vais pas sauter par dessus un feu lors du solstice d'été. Néanmoins, serait-ce un mal de souligner avec nos enfants ce temps fort dans la roue de l'année ? A partir du solstice, les horaires des prières s'engagent dans une dynamique décroissante. C'est donc bien un phénomène que l'on ressent quotidiennement. Les contes s'offrent ainsi comme un support, parmi d'autres, pour aborder ce phénomène avec les enfants. 






Conclusion !

Alors bien sûr, ceci est un enrichissement personnel d’adulte, et il ne convient pas de le transmettre ainsi aux enfants.

La pédagogie Steiner met en place des pratiques pédagogiques qui peuvent nous servir de support pour vivre cela avec les enfants tout en préservant leur âme d’enfant. Je pense notamment aux contes et aux dessins de forme, ou encore la peinture, le dessin, la chanson.

Vous trouverez dans l'autre article dédié au Ramadân 2020 - des activités pour les enfants-  une liste de contes, susceptibles d'accompagner les familles lors du prochain Ramadân. 


J’aurais aimé vous dire encore énormément de choses, notamment sur le jeûne en hiver. Dans mon brouillon, je vous parle du jeûne de Marie, mère de Jésus. Je vous y parle de l’analogie entre Marie et Muhammad (paix sur eux), entre Jésus (s) et le Qur’ân.  Si vous êtes curieux, vous pouvez toujours lire Faouzi Skali, Jésus dans la tradition soufie

J’espère pouvoir le reprendre très vite, mais je sens qu’il faut que je m’arrête là pour cet article… Shawwâl touche à sa fin…(spoiler, le temps de digérer le brouillon et de le publier, nous sommes au mois de Dhul -Qi'da) il fallait donc aussi que je mette/fasse un point pour ce Ramadan 2020.

Ainsi donc, au lieu de poursuivre cet article, je le terminerai comme il a commencé.

J’ai commencé cet article en parlant de l’apprentissage de la lecture dans le cadre de la pédagogie Steiner- Waldorf, je le terminerai avec d’autres extraits du livre de Stockmeyer, des propos de R. Steiner, s’exprimant sur la parole :

 « Voyez-vous, ce qui importe d’abord pour nous c’est que, lorsque nous recevons les enfants dans la 1e classe, nous ayons des histoires bien adaptées à leur raconter et à leur faire ensuite raconter. C’est en leur racontant des contes et des légendes, mais aussi des histoires tirées de la réalité concrète, que nous les formons à l’acte de s’exprimer par la parole. Nous les formons à passer du parler local à la langue cultivée. En veillant à ce que l’enfant s’exprime correctement, nous poserons également les fondements d’une expression écrite juste ». (Stockmeyer, p. 50)
 « Dans le cycle de Bâle 1920 (5e conférence), Steiner s’exprime avec force sur la manière de raconter, sur l’importance de le faire sans lire dans le livre : « Si seulement on pouvait voir clairement, chers auditeurs, la différence prodigieuse entre le fait de lire des contes à l’enfant ou de créer soi-même de tels contes ! Je vous en prie, lisez autant de contes que vous le voudrez et racontez à vos enfants des contes que vous avez lus. Ils n’agissent pas de la même manière que des contes, peut être bien plus mauvais, mais que vous créez vous-même et racontez ensuite aux enfants, à savoir parce que votre processus créateur intérieur (c’est de lui que je veux parler quand je parle d’élément vivant) agit sur l’enfant, parce qu’il se transmet véritablement à l’enfant. Ce sont les impondérables dans la relation avec l’enfant ». (Stockmeyer, p. 50-51)

Une dernière issue de la 10e conférence de Méthode et Pratique, 2006, p. 156-157 : 

« Il faudrait faire en sorte que notre civilisation se développe de façon telle que l’on puisse se fier davantage aux témoins, que les gens disent mieux la vérité. Mais pour obtenir cela, il faut commencer dès l’enfance. C’est pourquoi il est plus important de faire raconter par les enfants ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont vécu, que de cultiver la rédaction d’imagination. On inculquera ainsi aux enfants l’habitude de ne rien inventer dans la vie, et éventuellement en justice, mais de raconter de manière véridique les faits extérieurs perçus par les sens. Il faudrait aussi, dans ce domaine, tenir compte davantage de la volonté que de l'intellect. [...] C’est pourquoi, en pédagogie, il faut veiller à certains détails, à ce que les enfants lorsqu’ils savent écrire, et notamment après la 12e année, racontent vraiment ce qu’ils ont vu, et non pas pratiquer la rédaction d’imagination, qui en fait n’a pas place à l’école primaire ».







Cette dernière phrase est une réponse que je donne indirectement à notre inspectrice ..... cela fera peut être l'objet d'un prochain article.. 

Un mois avant Dhul-Hijja  ... 
Merci de m'avoir lu !

Vous disposez d'une année pour réfléchir sur votre prochain Ramadân !